La musique "klezmer" est celle que les baladins juifs ashkénazes colportaient de fête en fête, de "shtetl" (village) en ghetto, dans toute l’Europe de l’Est depuis le Moyen Âge jusqu’aux persécutions nazies et staliniennes du vingtième siècle. Elle s'inspire aussi bien de chants profanes et de danses populaires que de la "'khazones' (hébreu: "khazanut" liturgie juive) et des "nigunim", ces mélodies simples et sans paroles par lesquelles les "khasidim" tentaient d'approcher Dieu dans une sorte d'extase communautaire.
Au contact (réciproque) de musiciens slaves, tsiganes, grecs, turcs (ottomans) et -plus tard- du jazz, le klezmer a acquis une diversité et une sonorité caractéristique qui lui valent aujourd’hui d'être instantanément reconnu et apprécié dans le monde entier.
Depuis le 16ème siècle, des paroles se sont ajoutées au répertoire klezmer instrumental, grâce au "badkhn" (maître de cérémonie lors des mariages), au "purimshpil" (jeu d'Esther pour la fête de Purim), puis au théâtre yiddish.
L'immense répertoire klezmer et yiddish invite le public à la danse et permet au musicien d'exprimer toutes les émotions humaines, de la joie au désespoir, de la piété à la révolte et du recueillement à l’ivresse, sans oublier l'humour juif et... l’amour!
"Klezmer: ce n'est pas seulement une musique - c'est un mode de vie!" (Hankus Netsky)
Aux temps bibliques, la musique instrumentale faisait partie intégrante du culte juif. Après la destruction du second temple de Jérusalem en l’an 70 de notre ère, elle fut abolie en signe de deuil, à l'exception de la sonnerie du shofar (corne de bélier) aux offices de Rosh Hashanah et de Yom Kippour.
shofar |
C’est seulement au Moyen Âge que les instruments de musique furent réintroduits dans les fêtes religieuses joyeuses (il y en a!) comme Pourim, Khanukah ou Simkhat Torah, mais il existe très peu de documents écrits (et encore moins d’enregistrements!) de cette époque. On sait toutefois que dès le quinzième siècle, des musiciens juifs, professionnels ou non, pauvres et à peine mieux considérés dans le "yikhes"(échelle sociale et familiale) que les "shnorrers" (mendiants) ou les criminels (dérivés de "klezmer", les termes "klezmeruke" ou "klezmerivke" étaient des insultes!) mais pourtant admirés, recherchés et parfois célèbres, parcouraient l’Europe centrale de "shtetl" (village) en ghetto pour y animer les fêtes ("simkhes") telles qu'un anniversaire, l'arrivée d'un rabbin, l'acquisition d'un nouveau rouleau de la Tora, la visite d'un notable, l'inauguration d'une synagogue, les circoncisions ("bris") et surtout les mariages ("khasene"): Vi der klezmer, azoy di khasene!
klezmorim | ||
Moyen Age | ||
18ème siècle |
Par contre, il n'existe pas de répertoire klezmer
traditionnel spécifique aux funérailles: A kahsene iz azoy vi a levaye,
nor mit klezmorim! (un mariage est comme un enterrement,
mais avec des musiciens!) (Daniel Kahn).
Parmi les klezmorim, on trouve des figures mythiques comme le flûtiste et joueur de "shtroyfidl" (xylophone artisanal) Mikhoel-Yosef Gusikov (1806-1837) qui impressionna Felix Mendelssohn à Leipzig en 1836, ou les deux violonistes originaires de Berditshev Arn-moyshe Kholodenko dit Pedotser (1828-1902) et Yossele Drucker dit Stempenyu (1822-1879) qui inspira un personnage de Sholem Aleikhem et dont le surnom devient synonyme de virtuose. Mais bien peu de leur musique nous est restée!
Pedotser | Gusikov |
Dans de nombreuses régions (Metz, Francfort, Prague, etc.), l'activité des musiciens juifs était lourdement imposée et soumise à des restrictions de nombre, de lieu, d'instruments, d'horaire, etc.
Suite à plusieurs édits tsaristes (Catherine II, Alexandre 1er...), les cinq millions de juifs vivant en Russie à la fin du 18 ème siècle furent confinés dans un territoire de quelques centaines de kilomètres autour de Kiev (Pologne, Lituanie, Biélorussie, Ukraine, Galicie et Moldavie). En plus, leur accès aux grandes villes, aux écoles -et donc aux conservatoires- était strictement limité, de sorte que la plupart des musiciens se formaient "sur le tas" et le métier se transmettait de père en fils (les femmes n'étant pas admises, en ces temps-là, à se produire en public!). Ils parlaient un yiddish argotique ("klezmerloshn"), truffé d'anagrammes et de mots à sens redéfini, préféraient, dit-on, souvent les femmes et l'alcool à l'étude de la torah et se regroupaient en guildes ("tsekh"), sortes de syndicats qui les défendaient contre les autorités et fonctionnaient comme médiateurs sociaux.
A klezmer kapelye (Ukraine~1910)
A la fin du 18ème siècle, trois courants de pensée ont divisé les juifs d’Europe: A l’ouest, les maskilim (de la tendance intellectuelle dite "des Lumières" ou "haskalah") de Moïse Mendelssohn (1729-1786, le grand-père du compositeur Félix) prônaient l’assimilation socioculturelle. Au nord, les misnagdim ("opposants" ou "rationalistes"), menés par Eliah ben Solomon Zalman, le Gaon (leader) de Vilna (1720-1797) valorisaient l’étude intellectuelle des textes sacrés. Tandis qu’à l’est, les hassidim (pieux) dans la lignée d'Israel ben Eliezer, dit le Ba’al Shem Tov (Maître au Bon Nom, 1700-1760), exprimaient leur joie de vivre, leur amour de Dieu et des hommes par des expériences collectives mystiques voire extatiques, s'appuyant sur les chants et les danses.
En Allemagne, en Autriche, en Bohème et en Moravie, les maskilim dénigraient le yiddish et les klezmorim. Mais plus à l'est, c'est bien au courant hassidique que la musique klezmer empruntera ses "nigunim" (mélodies sans paroles, faciles à mémoriser et à répéter), sa joie et sa ferveur. Elle y adjoindra, en un subtil mélange, des airs populaires, des danses profanes et de la "khazanut" (cantillation des prières juives).
Le terme yiddish "klezmer" provient de la contraction des deux mots hébreux "kley" (véhicule, instrument) et "zemer" (chant, mélodie) et signifie littéralement "véhicule du chant" (A.Z. Idelsohn, 1929), soit "instrument de musique".
La prononciation germanisée "kletzmer" est incorrecte et infondée... Qu'on se le dise!
Cette étymologie laisse imaginer que les voix chantées ont été, au fil des siècles, remplacées par des instruments. C'est dans un manuscrit écrit à Cracovie (Pologne) en 1595, découvert dans la genizah (cimetière de livres) de la synagogue Ben Ezra du Caire et conservé au Trinity College de Cambridge, que "klezmer" désigne pour la première fois le musicien et non l'instrument (Zev Feldman).
Au 16ème siècle, on commence à faire la distinction entre letsonim (pluriel de leyts, amuseur public), badkhonim (pluriel de badkhn, animateur) et khazonim (pluriel de khazn, chantre). Depuis lors, ce qualificatif se retrouve dans de nombreuses chansons yiddish, anciennes ou récentes. Mais en "klezmeloshn", musicien se disait aussi Labushnik ou -en une sorte de verlan: Balishnik.
Le terme "klezmerishe musik" est entériné en 1938 dans le livre du célèbre musicologue Moshe Beregovski (1892-1961) "Yiddishe Instrumentalishe Folksmuzik" et repris par Zev Feldman et Joachim Stutchevski ("musiqah qlezmerit" en hébreu). Jusqu'aux années 50, par opposition à "muzikant", "klezmer" qualifie un musicien sans formation, incapable de lire les notes et jouant d'oreille une musique traditionnelle. De nos jours, le terme est devenu plutôt laudatif pour le musicien et dans le langage courant, il qualifie aussi la musique juive traditionnelle d'Europe de l'Est, ainsi que tous ses dérivés (pas ses dérives!) plus contemporains. Cependant, pour le grand clarinettiste Giora Feidman (et ses disciples), "klezmer" signifie surtout que les instruments sont les moyens d’expression, les "porte-paroles de la voix intérieure" qui chante dans l’âme de chacun de nous. Un klezmer ne "fait" pas de la musique, il parle, prie, console... par son instrument (Helmut Eisel).
Giora Feidman en 2004 à Genève
Bien que marquée par des persécutions et des pogroms dans presque toute l’Europe de l’est, la fin du 19ème siècle verra l’essor de la culture yiddish, en particulier dde la littérature, du théâtre, du cinéma et, bien sûr, de la musique.
Contrairement à la liturgie qui se transmettait oralement et en circuit fermé, la musique klezmer a beaucoup échangé avec les musiques populaires indigènes: roumaine, russe, polonaise, ukrainienne, lituanienne, hongroise, grecque ou ottomane (turque) et -particulièrement en Hongrie- tsigane (Zev Feldman). Dans ce sens, on peut vraiment parler de métissage artistique ou de "fusion" musicale.
Bien que cela ait aussi suscité des conflits, il n’était pas rare de voir des musiciens juifs jouer avec (et pour -) des tsiganes ou des "goyim" (non-juifs) (et inversement).
Musiciens juifs et ruthènes Verecke, Hongrie, 1895 photo: Magyar Néprajzi Múzeum |
Cependant, c’est surtout pour les danses et dans les cérémonies juives traditionnelles que les "klezmorim" pouvaient laisser leur talent s’épanouir: Chaque circonstance avait ses thèmes: nombreux nigunim pour les repas, (tish nigunim, Solinski's Rumanian fantasies, etc.), les concerts, les processions ("plusieurs Gasn nigunim"), le recueillement (nombreux nigunim) et surtout les mariages: "Tsu der khupe", "Fun der khupe", "Kale bazetsn" et "Kale badekn" pour la mariée, "Mazltov" pour les félicitations, "Firn di mekhutonim aheym", "Dobranotsh ou gute nakht)", "Dobriden, es toygt shoyn" (Bonjour! le jour se lève!) pour le départ des beaux-parents et des invités, etc.
un mariage juif en Galicie |
La qualité des musiciens - et donc leur cachet! - se mesurait à leur virtuosité, à l'étendue de leur répertoire, à leur capacité d’arranger les thèmes, de les adapter au public et d’improviser dessus.
De nos jours, le répertoire klezmer au sens large inclut de nombreuses chansons yiddish, traditionnelles ou récentes. Ceci n'est pas surprenant si l'on sait, d'une part, que les mariages traditionnels étaient, dès le treizième siècle, animés par un "badkhn" ou un "leyts", un maître de cérémonie tenant aussi les rôles d'improvisateur, de parodiste, de prédicateur, voire de chanteur. |
Rebbe
Elimelekh |
Purimshpiler Amsterdam 1723
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D'autre part, la fête de "purim", (commémorant la libération des juifs de Perse par la reine Esther) donnait, dès le 18ème siècle, lieu à des représentations théâtrales ("purimshpil") où figuraient musiciens, acteurs et chanteurs. |
Une grande partie des juifs qui, ayant quitté l'Europe centrale à la fin du dix-neuvième siècle pour chercher la prospérité et de ceux qui, plus tard, ont fui les persécutions nazies et staliniennes, se sont établis aux États-Unis où la musique klezmer a survécu et même prospéré comme musique de danse et de festivités grâce aux immigrés comme Harry Kandel (1885-1943), Abe Schwartz (1881-1963), Dave Tarras (1897-1989), Naftule Brandwein (1884 ou 1889-1963) ou Shloimke Beckerman (1883-1974) (pour ne citer que quelques célébrités) et à leurs descendants (tels Max Epstein (1912-2000), Pete Sokolow, Michael Alpert, etc.). Ces migrations massives ont profondément modifié le caractère de la musique klezmer, de sorte que nous avons désormais une idée biaisée du son des anciens orchestres est-européens (Mark Slobin).
Brandwein | Tarras |
Les premiers enregistrements klezmer, effectués en Europe -et à plus forte raison aux Etats-Unis- (Belf's Rumanian Orchestra, H.Steiner, Max Yenkowits, Titunshnayder, Giter's Kharkov Orchestra, etc.) ne datent que du début du 20ème siècle et ne sont pas représentatifs de ce qu'était le klezmer auparavant! Ils étaient truffés de défauts techniques mais aussi de bavures musicales qui leur donnaient leur charme. Actuellement, il est possible de corriger en studio chaque imperfection, si ténue soit-elle, de sorte que la musique enregistrée a pris un caractère "clean" voire stérile que le public exige aussi en concert, bien qu’il relègue l’émotion à l’arrière-plan. Oy! Moderne tsaytn!
Après la deuxième guerre mondiale et la Shoah, la tendance à l'assimilation culturelle et le Sionisme qui prévalaient chez les juifs d'Amérique ont relégué la musique juive aux oubliettes. Même des géants du klezmer ont succombé à la mode musicale israélienne (aux USA, en 1963, le clarinettiste klezmer Ray Musiker enregistrait "Tzena Tzena", "Hava Nagila", "Hevenu shalom aleykhem", etc.).
Mais depuis les années 70, on assiste à une véritable renaissance de cette musique connue actuellement sous le nom de "klezmer" de la même façon que la musique irlandaise fut nommée "celtique".
Cette renaissance ("revival") est due à des musiciens venus d’horizons variés (classique, jazz, folk, pop, etc.) comme Giora Feidman, Zev Feldman & Andy Statman, Henry Sapoznik (du groupe "Kapelye") ou Lev Liberman ("The Klezmorim"). Des juifs, pour la plupart, sentant le besoin de retrouver leur appartenance, leur identité ou leurs racines culturelles, comme si "leur âme (en) avait été affamée" (Andy Statman) ou cherchant une alternative valable à l'orthodoxie religieuse et au sionisme... Mais aussi des "goyim" (non-juifs), interpellés par la profondeur, l’expressivité ou l’universalité de cette musique. Partie des États-Unis, cette "nouvelle vague" klezmer n’a pas tardé à atteindre l’Europe. Elle est devenue "l'abstraction musicale de la langue yiddish" (David Krakauer) et "la bande sonore de choix pour une nouvelle culture de la jeunesse juive" (Alicia Svigals). Ce mode de pensée reflète bien l'intense revendication spirituelle de la musique klezmer à la fin des années 1990 (Barbara Kirshenblatt-Gimblett).
Traditionnellement, la musique klezmer était jouée pour faire danser le public lors de "simkhes" (fêtes) et le concept de concert avec un public assis tel que nous le connaissons de nos jours est un phénomène d'apparition récente depuis la "renaissance" (Ari Davidow).
Actuellement, on peut entrevoir trois tendances à la musique klezmer: Les musiciens du courant "mainstream" (Epstein Brothers, Maxwell Street Klezmer Band...) la pratiquent surtout dans des circonstances para-religieuses comme l'animation de mariages et d'autres fêtes juives. D'autres musiciens "traditionalistes" (comme Joël Rubin, Andy Statman ou les groupes "Di Naye Kapelye" et "Budowitz") cherchent à reproduire, en concert ou sur CD, le son et les arrangements du passé... Mais pour la majorité des klezmorim actuels, la scène klezmer est un lieu d'expression et d'échange artistique libre où chacun peut (et doit!) apporter ses compositions et ses interprétations personnelles, et accepter de subir toutes les influences musicales actuelles comme le jazz (Brave Old World, The Klezmorim, The Flying Bulgar Klezmer Band, David Krakauer, Kol Simcha, Klezmokum...), le free-jazz (John Zorn, Eliott Sharp, The New Klezmer Trio, Anthony Coleman...), la pop music (Mickey Katz...), le rock (The Klezmatics, Avi & Yossi Piamenta) et les musiques "ethniques": indienne, bhangra (Pharaoh's Daughter), arabe (Atzilut), celtique, etc. Comme au temps jadis, certains groupes klezmer (Brave Old World, The Klezmatics, The Klezmer Conservatory Band, Kapelye) ...) utilisent leurs compositions (souvent en yiddish!) pour exprimer leurs préoccupations et leurs revendications sociales, politiques, voire sexuelles.
Depuis le 21ème siècle, une mention spéciale doit être faite aux nouvelles tendances qui incluent du klezmer ou se revendiquent, même de loin, de cette mouvance: il s'agit des multiples fusions avec des musiques occidentales contemporaines et trop top styled (pour combien de temps?) comme le reggae, le ska, le hip-hop, le drum'n bass, la disco, la techno, la house, le rap, le ragga, la jungle, etc: (Adonaï and I, Emunah, etc.).
Les klezmorim ne pouvaient jouer que sur des instruments existants! Jusqu'au 18ème siècle, il s'agissait de violons, de violes, de flûtes, du cymbalum et de percussions.
En Ukraine, aux 18 et 19èmes siècles, la loi divisait les instruments de musique en deux catégories: les "forts" (cuivres et percussions) et les "doux" (cordes et flûtes). Les juifs n’étaient autorisés à jouer que la seconde sorte... En plus, le nombre de musiciens et la durée des concerts étaient aussi limités.
Di Shpilman Kapelye Ostrowiec, Pologne, ~1905 |
Le violon ("fidl", "verfl", "varpli" ou "varfli" en yiddish) se prêtait bien à toutes les ornementations et variations expressives. Au 16ème siècle, les violonistes occupaient toutefois une position basse dans la hiérarchie musicale (Mais il était plus facile de fuir un pogrom avec un violon qu’avec un piano!). L’"ershter" (premier violon) d’une "Kapelye" (orchestre) interprétait la mélodie principale en haut. Le "tsveyter" (second violon) en jouait une version hétérophonique, souvent à l’octave inférieure, alors que le "fturke" ou "secunda" faisait un accompagnement rythmique (Josh Horowitz & Seth Rogovoy). Le violon est devenu le symbole de la musique juive: L'expression "Yidl mit'n Fidl" (le p'tit juif avec son violon) a même inspiré une chanson et un film. |
La flûte ("fleyt" ou "shtolper") fut utilisée par les klezmorim dès le 17ème siècle. Mikhoel Guzikov en jouait avers 1830, avant de créer son "shtroyfidl". Le piccolo était le plus courant, car meilleur marché et facile à fabriquer. Les flûtes étaient coniques, plus rarement cylindriques, accordées (pas toujours très précisément!) en Do, en Fa ou en Mib. (Josh Horowitz)
:
Fleytshpiler ~1900 |
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Adrianne
Greenbaum 2004 |
Marc Chagall 1968 |
La clarinette ("clarnet", "foyal" ou "forsht") n'a été introduite dans les orchestres juifs que vers la deuxième moitié du 19ème siècle, non pas en provenance des orchestres classiques ni en remplacement du taragot (tarogato) hongrois ou transylvanien, mais par des musiciens (juifs) ayant figuré dans des fanfares militaires allemandes ou russes (Josh Horowitz, J.B. Loeffler) ou encore grâce aux instruments laissés par les soldats. Malgré l’affection qu’ils portaient traditionnellement au violon, les klezmorim ont obtenu, grâce à la clarinette, une élévation dans leur statut social. Le son "gémissant" de la clarinette (surtout celle en do) se prêtait parfaitement à la musique juive. |
Lorsque plusieurs instruments mélodiques étaient présents, le plus aigu tenait généralement le "lead" (l’inverse n’étant utilisé que pour créer un contraste ponctuel). Pour des instruments de tessitures identiques, l’octave était préférée à l’unisson (comme dans le "tsiftetelli" turc), vu les différences d’intonation. Contrairement aux longues notes trillées, parfois tenues sur plusieurs mesures, le jeu à la tierce et le contre-chant étaient plus rarement utilisés que de nos jours (Merlin Shepherd): une affaire de (bon) goût!
Le cymbalum ("tsimbl") était déjà populaire en Galicie, en Pologne Bucovine et en Biélorussie au 16ème siècle. On ignore si ce sont les Juifs, les Tsiganes ou les Hongrois qui l’ont introduit. Avec une centaine de cordes tendues à 40-50 kg , il était très difficile à accorder et l’oreille des mélomanes de l’époque devait être bien plus tolérante que la nôtre (Josh Horowitz)...
an altitshker yiddisher tsimbler | ||
Pete Rushefsky et son tsimbl |
L’accordéon (parfois nommé "harmoshke") à boutons de la fin du 19ème siècle était très prisé, mais d’un prix élevé et donc rare. A cause de sa petite taille et la rigidité de son soufflet en cuir de chèvre, le son était peu puissant et il fallait beaucoup de force physique pour en jouer. Mais ce défaut permettait en contrepartie une plus large gamme de nuances et des ornementations plus subtiles. L’alliage des lames et le bronze du cadre sur lequel elles étaient rivées (actuellement, on utilise plutôt le zinc ou l’aluminium) lui conféraient un timbre chaleureux, délicat et riche, proche de la voix (Josh Horowitz).
Le piano était très rarement utilisé par les klezmorim européens car son prix et son volume le réservaient aux hautes classes de la société. De plus, il n'était pas utilisable pour la musique de rues ou pour des mariages. Il prit plus d'importance chez les musiciens immigrés aux Etats-Unis dès la fin du 19ème siècle, marquant ainsi leur intégration au mode de vie américain (Mark Slobin).
Le violoncelle ("tshelo" ou parfois "barok") pouvait se jouer sanglé aux épaules, ce qui permettait de marcher avec. Certains le préféraient à la contrebasse ("bas" ou "verbl"), à 4 ou 3 cordes, pour sa légèreté et sa plus grande flexibilité mélodique. Les cordes en boyau étaient peu tendues et les notes aiguës rarement jouées, de sorte que le pouce n’était pas utilisé. L’archet, plus court, plus épais et aux crins moins tendus qu’actuellement, était tenu en "première position", vers le milieu. A l'origine, le son avait un caractère de "bourdon" ou de percussion, destiné surtout à augmenter le volume sonore en face d’un public bruyant de danseurs (Josh Horowitz). Plus tard, sous l’influence des musiques populaires et du jazz, la ligne de basse est devenue plus mélodique, rejoignant parfois la mélodie ou opiniâtrement fixée sur une ou deux notes (Ex: I -VI). En présence d’une contrebasse, le violoncelle pouvait aussi jouer une voix de ténor.
Les percussions étaient souvent réduites à un simple tambour ("tshekal") ou une grosse caisse ("poyk", "puk" ou "baraban") avec ou sans cymbale ("tats").
Ultérieurement, d’autres instruments ont été introduits dans les orchestres klezmer: cuivres, guitare, piano, saxophones (considérés par les nazis comme "instruments de la subversion judéo-nègre"!), xylophone, banjo, harmonica, tambourin et même tablas, sitar indien ou didjeridoo!
La musique klezmer traditionnelle comporte des caractéristiques qui la placent à mi-chemin entre le sacré et le profane.
A l’origine, le tempo avait une grande liberté et fluctuait en fonction de l’atmosphère ou du public: il fallait l’accélérer lorsque l’ambiance s’échauffait ou le ralentir lorsqu’une grand-mère entrait dans la danse! (Josh Horowitz). Notre conception actuelle du tempo, beaucoup plus (trop?) précis et régulier, voir mécanique, ne remonte qu’à l’avènement des moyens d’enregistrement, il y a une centaine d’années. A l’instar des tsiganes et de certains jazzmen, les klezmorim savaient placer leurs mélodies "en avant" ou "en arrière" sur l’assise rythmique pour obtenir un effet d’instabilité, de tension, propice à l’expression des émotions.
A) Majeur: Semblable au mode majeur de la musique occidentale ou au maqam "Ajam":
Exemple: 'Mayn shvester Khaye'. Et en musique judéo-espagnole: "Buena semana".
Le mode dit "majeur roumain" y ajoute des demi-tons: Re Ré# Mi Fa Fa# Sol Sol# La Si Do Ré.
B) Mineurs: Par définition, ils comportent tous un 3ème degré diminué: Do Ré Mib... ou Ré Mi Fa...
B 1) Mineur naturel ou Eolien, Mogen Ovos, mode "didactique": C'est probablement un des plus anciens modes cantioriels. Proche du maqam "Nahavend-Kurd", il est construit sur le 6ème degré de la gamme majeure (comme une gamme de fa commençant par ré):
Exemples: "Moldavian Hora", "Der Kiever Bulgar", "Dem Trisker Rebns Nigun", "Terk in Amerike" ("Fel shara" dans le répertoire judéo-espagnol) et "Hatikvah", l'hymne national israélien...
B 2) Mineur harmonique: C'est un mode mineur, apparenté au maqam "Nahavand-Hijaz", fréquemment utilisé en musique klezmer. Par rapport au précédent, la 7ème est augmentée:
La seconde augmentée entre les 6ème et 7ème degrés accentue l’effet de "sensible" de la 7ème et permet de construire un accord de dominante (5ème degré) majeur.
B 3) Mineur mélodique: Ce mode garde la 7ème augmentée du précédant, mais "corrige" la seconde augmentée en augmentant la 6ème: Ré Mi Fa Sol La Si Do# Ré.
C) Modes ashkénazes spécifiques: Les trois modes suivants sont nommés d’après la prière où ils apparaissent. On les dit en relation avec certaines notions éthiques ou certains contextes émotionnels... Une de leurs caractéristiques marquantes est la différence des certaines altérations d'une octave à l'autre.
C 1) Ahava Rabo (grand amour): Aussi nommé "Freygish" ou phrygien altéré (#3) (Beregowski), identique au mode (makam) arabe "Hijaz". Idelsohn le considère comme d'origine tartare (13ème siècle). Son 2ème degré est diminué (comme les 6ème et 7ème), ce qui donne un intervalle de un ton et demi ( seconde augmentée) entre le 2ème et le 3ème degré. Ce mode est assez répandu en Europe de l'Est dans les musiques juives et non juives. Il ressemble au mode phrygien (fréquent en musique espagnole, construit sur le 3ème degré de la gamme majeure comme une gamme de sib commençant par ré), mais comporte un 3ème degré majeur:
Exemple: "Tantzt, tantzt, yidelekh", "Lebedik un freylekh", "Sherele", "Ot azoy", "Shpil-zhe mir a lidele in yiddish" et même "Hava Nagila", un thème hassidique de Sadegur, revisité à la mode israélienne! Et en musique judéo-espagnole: "Cuando el rey Nimrod" et "Los bilbilicos".
Le mode
arabe (maqam) apparenté "Hijaz Kar" est aussi
utilisé. Il ne se
différencie du "freygish" que par une deuxième
seconde augmentée entre
les 6ème et 7ème
degrés: Ré Mib Fa# Sol La Sib Do# Ré.
(Pierre Cormon). Il s'agit d'un mode phrygien #3 #7.
Exemple: "Miserlou".
On retrouve le même mode (raga) sous le nom de Maya malawagowla en musique indienne (Rama Jonnalaggeda).
C 2) Mi sheberakh (celui qui bénit): également nommé "Av horakhamim" (père miséricordieux), dorien-ukrainien (Idelsohn), dorien altéré (Beregowski), dorien #4, "Doina" et analogue au "karagouna" et au "nigriz" grecs, ainsi qu'au maqam "nikriz". C'est la gamme mineure harmonique commençant sur le 4ème degré:
Exemples:
"Di sapozhkelekh",
"Nokh a gleyzl vayn", "Odessa bulgar", "Freylekhs fun der khupe" et la
2ème partie de "Gasn nigun"... C'est aussi le mode
principal de la Doina juive.
Les 5ème et 6ème
degrés y jouent un rôle expressif
important (David Krakauer). Le 6ème
et le 7ème degrés y
sont parfois augmentés ou diminués.
Dans ces modes, un peu à la manière des "blue notes" dans le jazz, c'est la seconde augmentée qui donne une coloration "orientale" typique à la musique klezmer.
C 3) Adonoy molokh (Dieu règne), "majeur roumain" ou "Tefila" (prière) pour les chantres séfarades, Mode "de dominante" (myxolydien), proche du maqam arabe "siga": Il est construit -dans son octave principale- sur le 5ème degré de la gamme majeure (comme une gamme de sol commençant par ré), et s'accompagne d'un accord de 7ème.
Il
comporte parfois une 10ème
mineure: Ré Mi Fa#
Sol La Si Do Ré (Mi Fa).
Exemples: "Baym rebn in Palestina", Rumenia Rumenia, "Der
shtiler bulgar".
C4) Yishtabakh, un mode mineur peu utilisé, comportant un 5ème et un 6ème (et parfois un 2ème) degrés diminués.
C 5) D'autres modes comme Slikha, Yekum Purkan, Akdamut ou Amida (pentatonique) sont utilisés dans la cantillation liturgique, mais rarement en musique klezmer.
Comme fréquemment dans une musique à transmission orale, les morceaux étaient joués sans que leurs auteurs soient rétribuées, mentionnés ni même parfois connus. Les titres eux-mêmes ne sont apparus qu'au début du vingtième siècle, lorsqu'il a fallu mettre des étiquettes sur les enregistrements. Ils se réfèrent plus souvent à l'état d'esprit des musiciens sur le moment: Nokh a glezl vayn (encore un verre de vin), Nakhes fun kinder (bonheur donné par les enfants), Der arbetsman (le travailleur), etc.
Auparavant, les musiciens se contentaient de nommer un morceau par son rythme (comme "freylekhs", "bulgar", "sher" ou "hora"), sa tonalité ("C minor bulgar") ou le nom de celui qui le leur avait enseigné (Bughici sirba, Makonovetski's Gas nigun, etc.) (Hankus Netsky).
La durée des morceaux ne connaissait pas de règle, mais s’adaptait uniquement aux circonstances. Si le public dansait, rien n’empêchait d’enchaîner 20 bulgars (Max Epstein) ou 20 minutes des shers (Joel Rubin) à la suite! C’est la durée limitée à 3 minutes d’une plage de "78 tours" qui a imposé la brièveté des morceaux que nous connaissons encore actuellement.
L'improvisation fait partie de la musique liturgique juive comme de la musique klezmer. A l’origine, elle consistait à modifier le phrasé, les articulations ou les ornements d’une mélodie, ou à y adjoindre des "enjolivures". Cette façon de faire génère l'hétérophonie: à la manière des juifs qui prient ensemble, chaque instrumentiste raconte la même histoire, mais à sa façon et... rendez-vous à la fin de chaque phrase!
Les changements de tempo peuvent aussi être considérés comme une forme d'improvisation.
Le taksim et la doina sont des morceaux assez longs et en majeure partie improvisés, joués lentement et rubato comme introduction d'une - ou de plusieurs - danses rapides (Hora, Freylekhs, etc.). C'est dans ces parties qu'on sent le plus l'influence de la cantillation liturgique du khazan (chantre).
La conception de l’improvisation a naturellement beaucoup évolué au vingtième siècle sous l’influence du jazz avec l’apparition de solos basés sur les chaînes d’accords du thème, voire d'improvisations modales libres.
La
plupart des thèmes joués de nos jours sont
qualifiés de
"traditionnels", c’est à dire que leurs auteurs
sont inconnus ou...
oubliés. Il se peut que leurs noms se soient perdus au cours
de la transmission
orale; ou que, tels des artisans ou des rabbins et non comme des
artistes, ils aient
omis de signer leurs oeuvres; ou simplement qu'ils n'aient pas
été en mesure
de les protéger.
Souvent, les morceaux ne sont pas
considérés
comme achevés et évoluent au fil des
interprétations successives. Ceci explique qu’un
même morceau puisse porter
plusieurs titres (Ex: Moldavian
hora et Bolgarskii
zhok, Gasn
nigun et Nationale
hora, ou
encore Pedotser’s
tants, Tan’ets
rabina et Der
khosid
tanzt. Une de
mélodies klezmer les plus connues, Tantzt,
tantzt, yidelekh,
se retrouve largement sous d'autres titres: Reb Dovidl's nigun, Der
rebbe hot geheysn freylekh zayn, Yoshke ma yofi…
et même dans
diverses langues: Hariklaki
mou, Baile
nupcial ebreo, Oj
pidu ja wikher shiker, Jewish melody, Tire, tire
l'aiguille, ma fille …
Le NIGUN (ou NIGN) (de l'hébreu "lenagen" faire de la musique) est une mélodie simple, souvent d'inspiration religieuse, facile à mémoriser et à reprendre collectivement, dont la répétition lancinante avec "kavanah" (concentration) peut provoquer (chez les sujets prédisposés!) une sorte de transe. Parmi les nigunim (pluriel), nombreux sont ceux qui auraient été composés par un rabbin ou un membre d'une hoyf (école rabbinique) ou encore empruntés au folklore local ou étranger et "sanctifiés (mekadesh zayn a nign). On distingue -entre autres- le tish nigun (accompagnant un repas), le "nigun rikud" pour danser, le joyeux nigun simkha, le Deveykus nigun (dédié à Dieu, souvent non rythmé), le gasn nigun (mélodie de rue, accompagnant les cortèges), le treredike nigun (mélodie à pleurer), etc. (Andy Statman). Les "paroles" d'un nigun ne sont, le plus souvent, que des onomatopées comme "bim, bom" dans la région de Modzitz (Galicie), "ay di gi day" à Ger, "Ti la lidl la li la lo" à Karlyn, "lay lay lay" à Bobov, "oy la la" ou "yom pa, tigidigi day" à Nikolayev, "oy, yoy", "na-na-na"', "ma-ma" ou 'moy na-na' à Lubavitch... (Henry Sapoznik, Lorin Sklamberg, Frank London, Yale Strom).
Le nigun est une mélodie
chantée à la
façon d’un instrument : La voix imite un instrument dont
l’usage est
interdit le shabbes. Le nigun
peut se chanter à une table table
(tish nigun) ou
debout, en dansant, etc. mais
toujours chanté en se balançant, pour s’immerger et à se perdre dans la
mélodie.
À la manière d’un protest song,
l’énergie vient de la répétition. La
mélodie est donc répétée presque sans fin. Il ne faut jamais laisser
baisser
l’énergie, donc toujours remplir les silences avec des oy oy oy ! En
outre, sans aller jusqu'à l'improvisation, la mélodie laisse à chacun
une liberté d'interprétation mélodique et rythmique. (Sruli Dresdner)
Certains hassidim pensaient qu'on pouvait affaiblir ses ennemis en chantant d'une manière religieuse ses hymnes (p.ex: la Marseillaise!) (Frank London)... Ainsi, le célèbre "pont"
typique des mélodies hassidiques d'Ukraine, n'est que la parodie d'un roulement de tambour! (Lorin Sklamberg).
Le FREYLEKHS ("joyeux"), appelé aussi hopke (saut), redl, karakhod, dreydl, kaylekhiks ou rikudl est une danse juive en cercle, vive, joyeuse et empreinte de spiritualité, dont les pas pouvaient être différents d'un shtetl à un autre, laissant une ouverture à l'improvisation (Nathan Vizonsky). Parfois, une pièce lyrique (non dansante) dans un esprit joyeux pouvait aussi être qualifiée de freylekhs. Comment ça se danse?
Le BULGAR (de "bulgaresti" ou "bulgareasca": à la façon bulgare (Zev Feldman)) est proche du freylekhs, bien qu'il soit généralement plus lent et plus complexe (sur le plan de l’ornementation et de la structure). C'est une danse de Bessarabie (Roumanie) -et non de Bulgarie où la majorité des juifs étaient séfarades!-, en cercle, en ligne ou à deux couples, proche de la SIRBA ou du cocek ["tchotchek"] tsigane, du hasapiko grec ou de la HORA israélienne, qui fut très en vogue aux États Unis au début du vingtième siècle. La musique a un tempo lent, moyen ou rapide en 8/8 avec des accents particuliers: 123 456 78 donnant un feeling de 2 triolets suivis de 2 croches. Comment ça se danse?
Le KHOSIDL est, comme son nom l'indique, une danse dans le style hassidique (imaginez-les avec des papillotes, des chapeaux, de longues barbes et des caftans noirs, les mains levées vers le ciel!), avec un caractère hautement expressif et spirituel. A l’origine, c'était une danse de rabbins (Zev Feldman), puis uniquement d'hommes (les femmes ayant par ailleurs leurs propres danses !) où chacun dansait en solo. Elle se danse sur une mélodie d'inspiration religieuse à 2/4 ou 4/4 (parfois appelée zemerl). Elle commence généralement à un tempo modéré et accélère peu à peu jusqu'à atteindre un enthousiasme quasi-extatique. Comment ça se danse?
La HORA
LENTE (aussi nommée "hora
roumaine", zhok, londre, volakh (danse de
Valachie) ou krimer (danse de Crimée) est une danse roumaine en cercle à
trois temps (3/8 ou
3/4) dont seuls le premier et le troisième sont
accentués:
En plus, le premier temps est piqué, alors que le
troisième est long...
Exemples: Bessarabian hora = Nokh a glezl vayn, Moldavian hora =
Bolgarski zhok, etc.
Le rythme n'était souvent pas joué d'une
manière parfaitement régulière, ce qui
pouvait donner, à l'extrême, l'impression d'un
rythme à 5 temps.
Cette danse était très populaire en Moldavie,
Bessarabie, Bukovine, Podolie et dans
certaines zones d'Ukraine. Comment ça se danse?
Des thèmes de hora étaient souvent
employés pour des défilés ou des
processions
informelles (comme pour marquer le départ des
invités ou des beaux-parents à la
fin d'un mariage...) Exemples: Firn di mekhutonim aheym, Gasn
nigun.
Ne pas la confondre avec la hora israélienne (p.ex. Hava
nagila) qui ressemble à un
bulgar rapide.
A titre indicatif, Hora Mare signifie "grande hora" et Hora
Lautaresca: "hora à la façon tsigane" (Marianne
Entat).
Le TERKISH ressemble au (kritikos)syrtos, au hasapiko, au ballos ou à la susta grecs, au tsiftetelli turc et à la habanera espagnole: c’est un morceau à 4 temps aux consonances orientales sur un rythme de "noire - soupir - croche - noire - noire" ou "noire - soupir pointé - double croche - noire - noire" qui sonne encore plus oriental (Marianne Entat). Si le Sirtos a pu diffuser en Europe de l'Est, il n'y a pas d'évidence que les Juifs aient dansé dessus (Josh Horowitz). Par contre, il a pu être utilisé comme musique rituelle pour les invités d'un mariage (Zev Feldman). Devenu populaire aux Etats-Unis dans la première moitié du 20ème siècle (grâce à Naftule Brandwein, Dave Tarras, etc.), il se danse depuis lors (Eric Bendix). Comment ça se danse?
La SIRBA est une danse roumaine (Moldavie, Olténie) "à la façon serbe" en couple ou en ligne sur un tempo plutôt rapide en 12/8 avec un feeling sous-jacent de triolets (123-123-123-123), parfois repris par la mélodie (Marianne Entat). Comment ça se danse?
Le SHER (ou sherele, volzeni, hakhnoe) est une danse de bergers en couple, originaire d’Allemagne, ressemblant à la "square dance" américaine ou au quadrille russe (krokadil), dont la musique à 2/4 sur un tempo moyen à rapide se rapproche du freylekhs. Ce nom ("ciseaux") ne fait pas allusion au mouvement des jambes (contrairement à une danse russe nommée également "ciseaux"), mais probablement aux figures qu'effectuent les danseurs en se croisant (Helen Winkler). Autres hypothèses quant à l'étymologie: Le sher pourrait avoir été la danse traditionnelle des barbiers ou des tailleurs (Michael Alpert), pourrait provenir de shar-tantz (danse populaire, danse en groupe) ou encore tenir son nom de la cérémonie rituelle de la coupe des cheveux de la fiancée avant ses noces (Josh Horowitz). Il est intéressant de noter que le sher ne se dansait pas à l'est de Moscou où les armées napoléoniennes ne sont pas parvenues! (Leon Blank). Les nombreux thèmes intitulés sher sont généralement formés de plusieurs sections juxtaposées pour former une pièce d'une durée extensible selon le besoin des danseurs. Comment se danse le sher?
Le TAKSIM, largement répandu dans les pays arabes, turcs et dans les Balkans musulmans, est une partie improvisée, jouée sur un mode (makam) et basée sur les motifs du morceau qui le suit (ou pouvant aussi être joué au milieu du morceau). Il a été supplanté (selon l'ethnomusicologue Moisei Beregowski - Kiev1892-1961) vers la fin du 19ème siècle par:
La DOINA est d'origine roumaine avec des influences grecques (skaros, kleftika) et elle avait déjà été empruntée par les lautari (musiciens) tsiganes. Le terme, possiblement d'origine sanskrite (d'haina), rappellerait l'influence des tsiganes venus d'Inde sur cette musique (Yale Strom). La doina une mélodie improvisé, plutôt lente et librement rythmée (plutôt que arythmique) ou avec une pulsation régulière (Kurt Bjorling), comportant des répétitions de courtes figures mélodiques. Le soliste (le plus souvent un violon ou une clarinette) joue d'une façon modale sur un "tapis de fond" harmonique discret (accordéon ou tsimbl). Les changements d’accords sont indiqués au fur et à mesure, souvent musicalement ou par signe, par le soliste aux autres musiciens (et non pas le contraire!). Ce style est particulièrement propice à exprimer des sentiments de tristesse et de joie alternés ou mélangés. Il inclut les intonations et les mélismes de la khazanut (chants synagogal) ou ceux de la prosodie poétique utilisée par le "badkhn" pour bénir, moraliser et faire pleurer la mariée. Dans un medley, la doina servait volontiers de forshpil (prélude) au morceau principal ou à une suite de morceaux plus rapides (hora, khosidl, sirba, freylekhs ou bulgar) appelée nokhshpil, auquel il pouvait être lié par un tsushpil, bref interlude rythmé (par exemple un terkish) annonçant le changement de tempo. Pour en savoir plus sur la Doina...
Selon la demande du public, les klezmorim pouvaient aussi jouer:
- le KOLOMEYKE, une danse en couple d'Ukraine (mélodie en doubles croches sur un tempo rapide à 2 temps et comportant 2 accents à la fin des phrases) et le HOPAK ukrainien (mélodie avec 2 accents au début des phrases)
- le SKOTSHNE, une danse sautillante rapide à 2 temps, similaire au freylekhs mais avec un peu plus d'éléments virtuoses (Beregovski), dont le nom -et peut-être certaines mélodies!- semble évoquer la présence de missionnaires écossais en Moldavie au 19ème siècle ou une parenté avec le Schottish... Pourtant son nom vient du polonais "skakać" et de l'Ukrainien "skakaty"qui signifient "sauter" (Merlin Shepherd, Christian Dawid). D'autres lui attribuent une origine tchèque... Le terme était surtout utilisé par les klezmorim, peu par le public. Musicalement, le skotshne est un fourre-tout comprenant des mélodies hassidiques, "de table" ou "de cour », pour danser, pour mener les mariés à la khupe, etc. (W. Zev Feldman)
- la HONGA (danse en ligne nommée hangu chez les bergers moldaves, comportant une répétition de motifs de 4 ou 8 mesures en croches), proche du bulgar
- la CSARDAS hongroise (au tempo lent puis rapide)
- le KASATCHOK russe
- la FANTAISIE (suite de morceaux de forme libre, rythmés ou non, sans signification rituelle mais destinés à être écoutés pendant un repas)
... ou divers morceaux classiques. D’autres styles musicaux modernes ont aussi été occasionnellement empruntés: GAVOTTE, QUADRILLE, TANGO, VALSE, MARCHE, POLKA (2/4), MAZURKA (3/4), voire FOX-TROT, RAGTIME, RHUMBA, MERENGUE, SAMBA, ROCK’N ROLL, des thèmes de JAZZ et même des morceaux "classiques" à la mode.
Un
moment d’écoute vaut ici mieux qu’un
long texte. Il est très difficile (et fastidieux)
de transcrire exactement une musique telle qu'elle a
été jouée par tel ou
tel musicien (par exemple d'après un vieil enregistrement):
les ornementations,
articulations, inflexions et autres nuances seraient plus nombreuses
que les
notes elles-mêmes! Néanmoins, quelques
particularités méritent
d’être
mentionnées pour les musiciens qui découvrent
cette musique sur des partitions.
- Le vibrato n'a été introduit que tardivement et parcimonieusement sous l'influence de la musique classique (Walter Zev Feldman)
- Les croches se jouent généralement binaires, sauf dans certains morceaux (ex: "Rusishe sher") ou dans les thèmes inspirés directement du jazz ("Bay mir bistu sheyn", "Abi gezunt", "And the angels sing", etc.) où le phrasé ternaire est de mise.
- Les triolets sont fréquents et se phrasent soit comme des triolets classiques (réguliers), soit comme un groupe "deux doubles croches - croche" ou mieux encore... entre les deux!
- les notes
répétées deux à deux
(Joshua Horowitz utilise la métaphore d'un bambin descendant
un escalier en mettant à chaque pas le même pied
sur la marche inférieure!) sont fréquemment
utilisées, le plus souvent dans une gamme descendante, pour
rejindre la tonique: Ré do do si si la la sol# sol# si la
sol# fa mi re. Cette
figure de style, fréquemment employée dans la
partie « kale
bazetsn »
et particulièrement « kale
baveynen »
du
mariage juif se retrouve souvent dans la doina
(éventuellement le taksim), mais
également dans de nombreux thèmes klezmer
où cette filiation apparaît
clairement, que ce soit dans la mélodie ou dans
l'harmonisation.
- La cadence qui annonce la fin d'une phrase ou d'une partie de morceau est souvent précédée d'une "pré-cadence", sous forme d'un changement de mode, volontiers avec un deuxième degré bémol (IIb) (Joshua Horowitz).
- La mélodie se joue souvent légèrement en avance, mais parfois en retard sur le temps, ce qui amène une certaine tension rythmique.
- Le hopke est une figure musicale qui
comporte une note brève à l'octave
supérieure suivi d'une dominante plus longue (Ex.
Moldavian hora,
Sirba gute nakht,
Kolomeyke 15...)
Il est
fréquent en klezmer mais pas
exclusif!
Et enfin:
- "Krekhts" (gémissement, soupir, sanglot...), "glitsh" (portamento ou bref glissando qui part de la note vers l'aigu), "dreydl" ou "shleyfer" (grupetto), "tshok"(cliquetis), "kvetsh" (plainte) ou "kneytsh" (inflexions), "boydt'ia"... ne sont que quelques termes yiddish qualifiant les nombreuses ornementations très fréquemment utilisées; ils témoignant de leur importance. Ces inflexions, spécifiques à la musique juive (Mark Slobin), s'inspirent de la cantillation des prières ("khazones"). Mais, "la mélodie vient d'abord, les ornementations ensuite!" (Max Epstein) et on ne fait jamais faux en en faisant moins (Deborah Strauss). "Considérons-les comme des épices qui peuvent ruiner les meilleurs mets" (C.P.E. Bach, cité par M. Slobin). Pour plus d’informations sur les ornementations, voir "Shpil, the Art of playing klezmer" de Yale Strom.
Quelques exemples d'ornementations klezmer:
La difficulté n'est pas tellement de bien jouer les ornementations, mais de bien les placer! Mais surtout: "Ne joue jamais deux fois de la même façon! Jamais!" (Max Epstein).
La spiritualité, l'hétérophonie, l'ornementation, le phrasé spécial, les gammes avec des secondes augmentées et les autres caractéristiques mentionnées ci-dessus ne suffisent pas à définir la musique klezmer, mais ce sont certains de ses points caractéristiques. On les retrouve naturellement aussi dans d'autres styles musicaux. C'est leur assemblage qui fait du klezmer une musique unique et aisément reconnaissable.
Mais "chez les Juifs, la musique n'est pas seulement un art en soi: elle a pour but d'élever l'âme humaine vers Dieu." (Moshé Mussa Berlin). "Le klezmer rappelle tant le chant liturgique qu'il paraît religieux, même si elle ne l'est pas!" (Alicia Svigals) et sa capacité de "lakhn mit trern" (rire avec des larmes) est profondément enracinée dans "dos pintele yid" (l'âme juive) (Seth Rogovoy, Yosl Kurland) car "Si trop de joie mène à la bestialité, trop de tristesse mène à la mort!"(proverbe hassidique).
Dernière mise à jour: 15 mai 2020